Les motivations d’un fondateur quant au choix du patronyme Mozart et Voltaire
Par Georges K. (Passé Vénérable Maître de la Loge, Passé Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de Suisse), planche d’Orateur à l’occasion de l’inauguration de la loge le 9 juin 1967
Deux noms illustres pour former le nom d’un nouvel atelier. Quelle prétention!
Mais après tout, nous sommes Francs-Maçons et notre idéal est aussi des plus élevés, difficilement atteignable pour un être humain. Ainsi nous avons l’habitude de ces altitudes, nous continuons à planer dans les hauteurs où les idées sont pures.
En fait si nous avons choisi ce patronage illustre de deux célèbres Francs-Maçons, c’est bien plutôt pour nous inspirer de leur exemple. Ce n’est pas que nous croyons que nous sommes aussi grands, doués et remarquables qu’eux, oh non, loin de là! Mais leur attitude dans la vie, leur façon de voir certaines choses nous les font adopter comme des exemples, mieux, comme un programme.
Pourquoi Mozart pourquoi Voltaire, et surtout pourquoi les deux ensembles ?
Pas du tout parce qu’ils vivaient dans le même siècle et à peu près à la même époque. Ceci n’est qu’une coïncidence fortuite, que nous avons à relever, un point c’est tout. Parce que tous les deux étaient d’illustres Maçons ? Nous approchons plus déjà de la vérité. En réalité, ce qui nous a frappés, c’est l’âge et le moment auxquels ils sont devenus Maçons.
Mozart tout d’abord
Mozart avait déjà fait à Paris trois voyages, un à Londres, un à la Haye, deux en Italie quatre en Allemagne. C’était un compositeur célèbre, un homme arrivé, même si à cette époque, être un compositeur arrivé ne signifiait pas tout à fait la même chose qu’à l’heure actuelle. Une chose est certaine, il se savait un bon compositeur, son métier lui donnait la plupart de ses satisfactions.
Il avait déjà composé un certain nombre de ses chefs-d’œuvre; je cite rapidement ses Concerti pour Violons, son Concerto pour Flûte, la Messe du Couronnement, Bastien et Bastienne, ainsi que l’Enlèvement au sérail.
Ce que cela signifie pour nous ? Simplement qu’il ne venait pas à la Franc-Maçonnerie pour se consoler d’un échec professionnel, qu’il n’attendait rien de la Franc-Maçonnerie qui ne soit un idéal, une morale qui ne corresponde à la sienne. Il y venait libre et surtout disponible. Il pouvait considérer la Franc-Maçonnerie dans ce qu’elle a de pur.
Il pourra s’y consacrer de telle façon que cette forme de pensée le marquera d’une façon indélébile et aura une influence très importante sur sa façon de composer. Les périodes de sa vie qui suivront son initiation seront qualifiées par un auteur non maçonnique dans les termes suivants: « Mozart tragique et fraternel », « L’affrontement des angoisses », « Un feu solitaire dans les ténèbres » pour finir enfin par « Le triomphe de la lumière ».
Il est indiscutable que la Franc-Maçonnerie ait eu une très grande influence sur l’esprit de Mozart. Si, maintenant, il va écrire ses chefs-d’œuvre, c’est certainement parce qu’il est devenu plus vieux, plus mûr, plus conscient, mais cette maturité, ce sentiment de l’humanité, il le doit à la Franc-Maçonnerie.
Ce sera « Don Juan », une réflexion tragique sur un monde neuf, ce sera « Les Noces de Figaro », un opéra où il sent les revendications de la Révolution, ce sera « Cosi Fan Tutte », une critique bouffonne d’une société et d’une humanité frivole que la musique condamne plus sévèrement que n’importe quoi d’autre.
Ce sera enfin « La Flûte Enchantée », où tout initié revivra en public et avec une musique incroyable de beauté sa propre initiation. La Flûte Enchantée, l’opéra maçonnique de Mozart sera représenté le 30 septembre 1791, six semaines avant sa mort.
Pour Voltaire, le cas est un peu analogue
Il est, en effet, entré dans la Franc-maçonnerie quelques mois à peine avant sa mort c’était le 7 avril 1778, il avait alors 84 ans.
Sa vie était derrière lui, ses chefs-d’œuvre aussi; il avait pu dire sa façon de penser « à ces messieurs de Genève ».
Il l’avait dit d’ailleurs sans mâcher ses mots: « La République de Genève est une petite ruche où l’envie fait distiller plus de fiel que de miel. »
Ce que nous pouvons apprécier mieux que quiconque.
Il avait déjà dit de l’Académie Française que « c’était un corps où l’on reçoit des gens titrés, des hommes en place, des prélats, des gens de robes, des médecins, des géomètres et même des gens de lettres ».
Si Voltaire entrait dans la Franc-Maçonnerie à ce moment là, c’est que cela correspondait vraiment à quelque chose d’important chez lui, c’ était un accomplissement, c’était une fin, ce n’était pas une compensation, de quoi cela aurait-il pu l’être d’ailleurs ?
La réunion des noms de MOZART ET VOLTAIRE comme signe distinctif de notre atelier, trouve ici sa première justification. Et c’est le premier exemple que nous voulons suivre: n’admettre dans notre atelier que des hommes disponibles, des hommes qui n’attendent de notre ordre ni compensation affective, ni avantage matériel.
Nous ne voulons pas de Frères qui puissent dire « la Franc-Maçonnerie, il faut que cela rapporte ».
Nous voulons au contraire des Frères qui puissent apporter en loge le témoignage de leur réussite profane ou, plus exactement, le témoignage de la satisfaction que leur apporte leur métier, leur famille, leur vie profane.
Nous ne voulons pas de gens aigris; nous voulons des gens épanouis, car nous pensons que cette sérénité profane est un des moteurs de la sérénité Maçonnique et que, dans ces conditions, personne chez nous ne devra faire de la compensation et chercher, ici, les honneurs que la vie leur a refusés.
Chez Mozart nous recherchons encore un autre exemple: l’exemple de la diversité. Mozart était profondément religieux; il a signé quelques-unes des plus belles pages de musique religieuse que je connaisse, sa messe du Couronnement est admirable, son Requiem inégalé.
Il nous a plu que notre atelier, dont tous les membres sont de formation maçonnique laïque adogmatique, se réunissent sous le patronage d’un homme qui fut profondément religieux.
Il est vrai que nous accolons son nom à celui de Voltaire qui sur ce problème a pu écrire: « C’est le caractère des barbares de croire la divinité malfaisante, les hommes font Dieu à leur image ».
Ou encore: « Si Dieu nous a fait à son image nous le lui avons bien rendu ».
En terminant avec son fameux: « Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas ».
La présence de ces deux noms crée pour nous l’équilibre et nous permet d’affirmer que nous nous refusons à toute affirmation dogmatique et notre Atelier veut travailler dans une parfaite liberté de conscience et en instaurant sur ce plan également une tolérance fraternelle.
La religion dans la mesure où elle est une affaire de conscience personnelle ne nous effraye pas, bien au contraire, nous saluons, nous aimons, nous admirons les hommes sincères.
Cela ne nous empêchera pas de manifester notre désapprobation devant toute atteinte par une quelconque religion à notre liberté et ce bon vieil anticléricalisme qui caractérise si bien le Grand Orient de France où nous avons, nous les membres fondateurs, reçu la Lumière.
Nous avons choisi le nom de Voltaire pour ses manifestations en faveur d’une tolérance religieuse.
L’affaire Calas est un nom qu’il suffit de prononcer pour évoquer toutes les contraintes de l’obscurantisme, allié à une certaine volonté politique que nous nous efforçons de combattre. L’engagement de Voltaire dans cette affaire, même si certains historiens des lettres se plaisent à en ternir la pureté, est remarquable.
C’est un exemple de courage d’affirmation de son opinion dans des circonstances historiques assez troublées que nous voulons admirer. C’est une prise de position civique dont nous voulons nous inspirer, c’est la manifestation d’un esprit de tolérance qui doit être plus qu’un simple canon dans une déclaration de principe. La tolérance et le combat pour la tolérance doivent être notre combat de tous les jours et, dans ce combat, Voltaire sera notre bannière.
De Mozart, nous aimerions acquérir le style humain, léger aussi, toujours avec ce « leit motiv » de la nature humaine qui transparaît dans chaque mesure de son œuvre. Nous aimerions acquérir ce sens de l’humour qui caractérise aussi la musique de Mozart.
Ce qui nous séduit dans l’humour de Mozart ou pour être plus exact, l’exemple que nous voulons suivre dans ce cas particulier c’est d’espérer que nous aurons tous suffisamment le sens de l’humour pour ne jamais nous prendre au sérieux.
Un idéal mérite d’être pris au sérieux. La Franc-maçonnerie doit être prise au sérieux. Les hommes, les autres, doivent être pris au sérieux, si l’on veut les aimer, si on leur veut du bien. Mais nous-mêmes si possible jamais. Pourquoi ?
Oh, cela évitera ainsi des conflits: le sens de l’humour, c’est le début de l’humilité envers soi-même, c’est la possibilité de se critiquer soi-même, de faire souvent notre auto-critique.
Pour des frères qui ne se prennent pas au sérieux, les charges maçonniques redeviennent ce qu’elles sont: des charges qui engendrent des devoirs, des offices à remplir.
Ce n’est rien d’autre qu’un travail effectif et assidu; ce ne sont pas de vains honneurs, ce n’est pas une gloire; ce n’est pas un but après lequel on doit courir. Le sens de l’humour, c’est une assurance de notre santé morale et, croyez-moi, nous y tenons bougrement.
Humain, Mozart le fut dans toute l’acceptation du terme. Amoureux éperdu, flatté heureux, malheureux jouisseur de la vie, avec une pointe de grossièreté et de vulgarité qu’il est nécessaire de trouver dans ce personnage sans quoi il ne serait pas vivable. Il serait très difficile de citer dans cette enceinte le titre de certains canons profanes que Mozart a écrit un soir de liesse ou de beuverie, les mots sont trop choquants.
Cela signifie que les frères de MOZART & VOLTAIRE doivent être des hommes, des adultes avec ce que cela signifie d’imperfection, de défaut de personnalité, mais avec surtout cet équilibre indispensable à la vie.
Écrivant une musique si raffinée, si extraordinaire, Mozart se devait d’avoir dans sa vie une certaine gauloiserie, pour rétablir l’équilibre. Il ne s’en vantait pas trop d’ailleurs, nous non plus nous ne nous en vanterons pas, mais nous nous sentirons un peu moins seuls….
Voltaire aussi était très humain, très homme. Et, puisque nous parlons de cela, il nous plaît infiniment que Voltaire alors âgé de douze ans ait reçu un cadeau de deux mille francs pour s’acheter des livres. Ce que nous aimons par dessus tout, c’est que ce cadeau lui a été fait par Ninon de Lenclos.
Et nous saurons prendre avec un sourire identique, quoiqu’un peu plus peiné, l’affirmation disant que, malgré ce qu’il en disait, il parait que ses amours tumultueuses furent plutôt platoniques… Tant pis, nul ne peut être parfait.
Du style de Voltaire, nous garderons le mordant, la férocité, la pointe qui fait mouche, mais Voltaire expose son esprit bien mieux que je ne saurais le faire.
Il dit : « Le sens commun n’est pas si commun ».
Il dit encore: « Toutes les espèces de l’humanité sont bonnes, excepté l’espèce ennuyeuse ».
Il ajoute : « Je sais que je me trouve parmi des hommes civilisés, parce qu’ils se combattent si sauvagement ».
Et je terminerai peut-être par cette dernière citation qui est empreinte de tendresse et qui vaut plus qu’un long discours:
Tous les raisonnements des hommes ne valent pas un sentiment d’une femme
Nous voulons aussi nous inspirer de sa philosophie, de sa lucidité, de sa clairvoyance, de son courage.
A Mozart, nous emprunterons sa discrétion. L’histoire vaut la peine d’être contée: en 1786, Mozart donne à Vienne la première représentation des « Noces du Figaro ». La musique trop raffinée ne plaît pas trop aux Viennois qui, selon l’Empereur « doivent encore mâcher ça ».
Les francs-maçons de Prague l’invitent alors à Prague pour une série de représentations des « Noces » qui remportent un succès extraordinaire, au point qu’on en joue des airs dans les tavernes et les bistrots et sur les instruments allant de la cithare à l’accordéon.
Pour remercier ses frères, Mozart compose une symphonie qu’il dirige le 6 décembre 1786: c’est la Symphonie de Prague. Sa particularité: elle n’a que trois mouvements.
Des musicologues se sont penchés sur ce mystère et le célèbre Einstein, le musicologue, pas le physicien, n’a trouvé comme explication à ces trois mouvements au lieu de quatre qu’un pauvre : « pour cette seule raison que tout ce qu’il y a à dire l’est en trois mouvements ».
Ce sont Jean et Brigitte Massin, les derniers grands biographes de Mozart qui ont perçu les intentions maçonniques de Mozart dans cette Symphonie de Prague.
Ce sont des biographes qui, quoique non maçons, ont jugé utile pour la meilleure compréhension de Mozart d’inclure dans leur ouvrage une brève histoire de la franc-maçonnerie autrichienne du XVIIIème siècle.
Donc, pendant plus de cent cinquante ans, on a pu écouter cette symphonie de Prague sans se rendre compte de tout ce qu’elle pouvait dire à l’initié, de tous les discours que cette symphonie pouvait tenir sur la reconnaissance… et la discrétion.
Je demanderai encore à l’œuvre de Mozart une autre intention: dans la « Flûte Enchantée », Mozart fait preuve d’un esprit maçonnique extrêmement libéral, encore plus libéral si l’on songe à l’époque à laquelle il se manifeste.
Les deux hommes d’armes qui figurent le Grand Expert et le Maître des Cérémonies chantent au dernier acte:
Une femme qui ne craint ni la nuit, ni la mort, est digne d’être initiée
Et j’ aime trop Mozart pour le contredire sur ce point…
A Voltaire, j’aimerais encore que nous prenions son attachement et son émotion envers la franc-maçonnerie.
Quand il fut initié à la Loge des « Neuf Sœurs », on l’accueillit avec tous les honneurs dus à ses talents. Le vieillard, touché jusqu’aux larmes par une pareille réception, dit à ses frères: « Vous me faites pour la première fois connaître la vanité, mais vous me faites bien mieux sentir la reconnaissance ».
La fidélité et le dévouement à la franc-maçonnerie, nous les retrouvons chez Mozart, en songeant à toute la musique maçonnique qu’il a écrite : cantates, musique d’augmentation de salaire…
J’ajouterai que, contrairement à ce que l’on croit généralement, ses deux dernières œuvres ne furent pas la « Messe de Requiem » que les coïncidences font apparaître comme un événement annonciateur de sa mort. Non, ses deux dernières œuvres entièrement terminées datent du 15 novembre 1791, vingt jours avant sa mort.
Ce sont une cantate maçonnique « L’Éloge de l’Amitié » et un Lied « Enlaçons nos Mains ». Par ce Lied, Mozart marquait vraiment la fin du travail : « Enlaçons nos mains », c’est la chaîne d’union, c’était le véritable adieu de Mozart à ses frères, qu’il aimait, à la franc-maçonnerie…
Autre coïncidence qui nous sert à affirmer nos principes, notre véritable libéralisme: Mozart appartenait à une obédience autrichienne, la Grande Loge d’Autriche. Voltaire, lui, fut initié dans une Loge du Grand Orient de France. Réunion de deux francs-maçons, de deux obédiences sans doute rivales aujourd’hui, comme c’est trop souvent le cas malheureusement de nos jours.
Pourtant, nous les voulons réunis, comme nous aimerions que soit unie toute la franc-maçonnerie, comme nous aimerions qu’elle soit véritablement universelle.
Nous l’affirmons solennellement: nos tenues sont ouvertes à tous les francs-maçons, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur obédience, pourvu qu’ils aient été initiés dans une loge juste et parfaite selon la définition de l’appel de Strasbourg. Cette définition est la suivante:
Nous sommes ouverts à tous; nous ne demandons pas que tous les autres temples nous soient ouverts; la nature humaine des autres gens nous interdit cette demande, ne nous permet que d’en formuler l’espoir
C’est très facile, me direz-vous, de prendre des noms, d’en faire des symboles et ensuite de leur faire dire tout ce qui nous arrange. C’est vrai… N’empêche que cela nous a permis de tracer un programme idéal, peut-être prétentieux, mais quel idéal ne l’est pas ?
Cela nous a permis aussi d’évoquer et, en donnant leurs noms à notre Loge, de remercier deux frères, ô combien merveilleux, ô combien importants, de tout ce qu’ils nous ont donné, tant dans la vie profane, que dans la vie maçonnique; car, en fait, c’est aussi parce que nous les admirons que nous avons donné à notre atelier le nom de MOZART & VOLTAIRE.
On demandait à Rossini quel était le plus grand compositeur, il répondit : « Beethoven », on lui dit alors « Et Mozart »? Rossini conclut: « Mozart, c’est le seul »…
C’est à Voltaire que j’emprunterai le mot de la fin, dans la réponse du jeune Candide au vieux Dr. Panglos, un mot qui est un conseil que nous pouvons tous suivre que ce soit dans notre vie profane ou dans notre vie maçonnique:
Tout cela est bien, mais cultivons notre jardin
La Liberté: fondement de la Franc-Maçonnerie… à lire ensuite