Afrique, mais quelle Afrique?

Anthologie d’une Afrique plurielle en quête de devenir.

Planche dite par un Frère de l’atelier en Avril 2025

Introduction

Ce midi, je propose de partager quelques réflexions sur un sujet qui nous concerne tous, peu importe d’où nous venons.

Il s’agit de réflexions sur les perspectives actuelles et le devenir du Continent Africain.

Ce travail, tout à la fois une méditation et une quête, s’inscrit dans notre démarche maçonnique de transformation, d’élévation et de recherche de la vérité.

Je vous invite à parcourir avec moi une anthologie de réflexions contemporaines sur l’Afrique, à la croisée des chemins entre ses défis inédits et ses vastes opportunités.

Et dans cet esprit, j’aborderai ces thèmes sous l’angle de notre quête maçonnique de l’amélioration matérielle et morale, du perfectionnement individuel et social de l’humanité.

Le titre de ma planche, « Afrique, mais quelle Afrique ? », s’inspire de la question essentielle qui traverse toutes les consciences : comment saisir la pluralité, la diversité, et la complexité de ce continent dans lequel l’Histoire, les traditions et les défis s’entrelacent ?

L’Afrique, ce vaste ensemble de 54 États, n’est pas unis dans l’uniformité.

Elle est multiple, diverse, elle représente à la fois la beauté et la tragédie de l’existence humaine. Elle évoque la dualité du pavé mosaïque entre le potentiel illimité et les obstacles structurels. Dans la configuration actuelle des grandes puissances ou pôles géopolitiques, l’Afrique peut, peut-être encore, être considérée comme cette structure ternaire dans la symbolique. C’est-à-dire le joint entre les deux éléments, où la relation entre les deux pôles est enrichie ou nuancée par cet espace intermédiaire.

Comme un temple où chaque pierre a sa propre histoire, l’Afrique continue de se construire à la croisée des ténèbres et de la lumière. Elle est le creuset d’une transformation, où tout peut surgir des éléments : terre, feu et eau.

La suite de ce travail se subdivise en 3 parties : 1ere partie la quête de l’Harmonie Éternelle ; 2ème partie : La quête de l’éternel développement durable ; Et 3ème partie : notre rôle à tou.te.s : ce que nous pouvons faire et ce que peut faire la Franc-Maçonnerie.

Quelques éléments de contextualisation

Le but cette planche est de nous donner de façon modeste un aperçu de quelques grandes réflexions contemporaines sur l’Afrique par des africains et non africains. Le titre « Afrique, mais quelle Afrique ? Anthologie d’une Afrique plurielle en quête de devenir » est évocateur.

Pourquoi le choix du mot « Anthologie » ? C’est la formulation qui m’a paru indiquée pour une collection de pensées de sources variées qui semble conserver une tonalité assimilable. En littérature, une anthologie est un recueil de textes ou de morceaux choisis partageant les mêmes caractéristiques: thèmes, genres, styles, langues, origines géographiques.

Dans cet esprit, j’exposerai brièvement des morceaux de réflexions sur l’état actuel du continent africain et son devenir à travers un petit groupe d’auteurs – certains assez bien connus et d’autres peu connu. Il s’agit notamment de Molefi Kete Asante, Felwin Sarr, Jeffrey Sachs et Paul Collier que j’aurai l’occasion de présenter brièvement.

Quels sont les faits et données clés qu’il convient de convoquer pour planter le décor ?

Cette Afrique dont je parle est constituée de 54 États sur une superficie de 30millions de km2 (l’Europe fait un peu moins de 10millions de km2 soit 3 fois moins). En 2024, la population du continent est estimée à 1 milliard 400millions d’habitants soit 17,89% de la population mondiale. L’Inde et la Chine ont chacun à peu près autant d’habitants que tous les 54 États africains réunis.

Avec un âge médian de 20 ans et plus de 40% de la population ayant moins de 13 ans, le continent africain est le plus jeune. A l’horizon 2050, sa population devrait atteindre 2,4 milliards selon certaines prévisions.

Sur ces terres d’immenses opportunités se trouvent une grande partie des ressources naturelles et minérales dont le monde a besoin.

A l’échelle mondiale, le continent africain détient 60% des terres arables non cultivées mais importe chaque année plus de 10 milliards de dollars de denrées alimentaires.

Quant aux disponibilités en eau, le continent se retrouve entre abondance (notamment en Afrique centrale et dans le golfe de Guinée) et pénuries (Afrique du Nord et certaines régions de l’Est).

J’arrête là, pour juste un moment, la litanie des ressources naturelles et minérales pour m’appesantir sur une question cruciale. Il s’agit de l’accès à l’électricité, une condition essentielle de tout développement moderne.

D’elle dépend tous les autres paramètres de l’indice de développement humain. Un accès universel à l’électricité améliore significativement l’éducation, la santé, l’emploi, l’agriculture, la sécurité, les droits humains et la réduction de la pauvreté qui est sans doute le fléau le plus incapacitant de nos jours.

L’on connaît bien le rôle capital de l’accès à l’énergie pour la première révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle en Europe. Trois siècles plus tard, au XXIème siècle, plus de 700 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité sur le continent africain. Et si les tendances venaient à se poursuivre l’accès universel à l’électricité n’interviendrait pas avant l’année 2080. Pensons-y !

Malgré toutes ces turpitudes, le continent a connu entre les années 2000 et 2014 une croissance appréciable qui lui a valu le fameux titre ‘Africa Rising’ en couverture du Magazine anglais ‘The Economist’. Le même Magazine qui 10 ans plus tôt titrait à la une ‘The Hopeless Continent’ pour parler l’Afrique.

Ce sont juste là quelques éléments de contexte pour garder en mémoire cet environnement d’opportunités et défis immenses afin d’aider à équilibrer nos analyses et perspectives.

Première Partie : Entre défis et opportunités, la quête permanente de « l’Harmonie Eternelle »

L’Afrique est un continent de paradoxes, riche de ses ressources, et pourtant confronté à une pauvreté persistante, à des inégalités croissantes et à des défis environnementaux qui semblent insurmontables. Mais c’est précisément dans cette confrontation que réside son potentiel.

Dans cette première partie, j’invoque la théorie de la recherche d’harmonie éternelle comme piste de réflexion pour appréhender la situation actuelle de l’Afrique et son devenir.

Premier morceau choisi, une œuvre de l’auteur Molefi Kete Asante intitulée « The History of Africa: The Quest for Eternal Harmony » En français : « L’Histoire de l’Afrique : À la Recherche de l’Harmonie Éternelle ».

Le concept « d’harmonie éternelle », est un cadre philosophique qui met en avant l’interconnexion de tous les aspects de la vie africaine et la recherche d’équilibre et d’harmonie.

Pourquoi ce concept ? Selon Molefi, ce concept a une pertinence contemporaine car il s’avère crucial pour aborder les défis contemporains auxquels est confrontée l’Afrique, tels que l’instabilité politique, les inégalités économiques et la dégradation environnementale, en favorisant des solutions durables et harmonieuses.

Existe-il d’autres enseignements associés à ce concept ? Oui, ce sont entre autres :

Interconnexion : Tous les éléments de la société africaine, y compris les aspects culturels, sociaux, politiques et économiques, sont interconnectés et s’influencent mutuellement.

Continuité Culturelle : L’Harmonie Éternelle reconnaît la continuité des cultures et des traditions africaines au fil du temps, malgré les influences externes telles que la colonisation et la mondialisation.

Résilience : Les sociétés africaines ont fait preuve de résilience face à l’adversité, en s’adaptant aux défis tout en maintenant les valeurs et les pratiques culturelles fondamentales.

Agentivité : Asante souligne l’agentivité des peuples africains dans la création de leurs propres destins et histoires, remettant en question les récits qui dépeignent l’Afrique comme passive ou inférieure.

Unité dans la Diversité : Malgré la diversité des langues, des religions et des traditions à travers le continent, l’Harmonie Éternelle reconnaît l’unité sous-jacente et les valeurs partagées qui lient les sociétés africaines.

Dimension Spirituelle : Le concept intègre les croyances et pratiques spirituelles en tant que composantes intégrales de la vie africaine, contribuant à la quête d’harmonie et d’interconnexion.

En résumé, le concept d’Harmonie Éternelle offre un cadre philosophique profond pour comprendre les sociétés africaines et leurs trajectoires historiques, en mettant l’accent sur l’importance de l’interconnexion, de l’équilibre et de la résilience pour atteindre une existence harmonieuse.

De mon point de vue, cette quête est analogue à notre démarche maçonnique : l’unité dans la diversité, l’interconnexion entre toutes les dimensions de la vie. Ce principe trouve une résonance profonde dans la construction de notre temple, où chaque pierre, chaque élément, même celui qui semble fragile ou marginal, a une place essentielle.

Dans cette quête, l’Afrique apparaît non seulement comme une entité qui recherche un certain équilibre, mais aussi comme une société qui, par sa résilience, se redéfinit  constamment face à l’adversité. Cette quête de l’Harmonie est également une invitation à penser l’Afrique non comme une victime passive de son histoire, mais comme un acteur maître de son destin.

Je m’en vais maintenant vous parler de l’auteur Felwine Sarr (52 ans).

Felwine Sarr, un érudit Sénégalais renommé, a contribué à la compréhension de l’état actuel du continent africain et de ses perspectives à travers plusieurs concepts clés.

Voici quelques-uns de ses concepts les plus significatifs :

La pensée du monde : Sarr prône une approche holistique de la pensée africaine qui reconnaît et intègre la complexité et la diversité des perspectives africaines sur le monde. Il  encourage à dépasser les paradigmes coloniaux et euro-centriques pour reconnaître la richesse et la profondeur de la pensée africaine.

La renaissance africaine : Sarr explore la notion de renaissance africaine en tant que projet visant à restaurer la dignité, la créativité et la prospérité des peuples africains. Il met l’accent sur l’importance de renouer avec les traditions, les valeurs et les connaissances africaines pour imaginer un avenir meilleur pour le continent.

La critique de l’économie de prédation : Sarr analyse les systèmes économiques qui ont prévalu en Afrique, en mettant en lumière les mécanismes de prédation, d’exploitation des ressources et de dépendance qui ont entravé le développement durable du continent. Il plaide en faveur d’une économie basée sur la coopération, la solidarité et le respect de l’environnement.

La décolonisation de la connaissance : Sarr critique les héritages du colonialisme dans la production et la diffusion des connaissances sur l’Afrique. Il appelle à une décolonisation des savoirs et des institutions académiques, ainsi qu’à une reconnaissance et une valorisation des épistémologies africaines.

L’art comme vecteur de transformation sociale : Sarr explore le rôle de l’art et de la culture dans la construction de sociétés africaines inclusives, créatives et résilientes. Il souligne le potentiel de l’expression artistique pour promouvoir le dialogue interculturel, l’émancipation individuelle et collective, et la construction d’identités positives.

En résumé, Felwine Sarr offrent des perspectives novatrices et inspirantes pour comprendre les défis et les possibilités qui façonnent l’avenir de l’Afrique. Il appelle à une réflexion profonde sur les voies de développement et de transformation du continent, en mettant l’accent sur la valorisation des ressources humaines, culturelles et naturelles de l’Afrique.

Deuxième Partie : La quête de l’éternel développement durable

Le monde moderne est confronté à des défis globaux: inégalités sociales, pauvreté, dégradation de l’environnement et gouvernance défaillante. Face aux multiples questions existentielles, beaucoup se demandent quelles autres pistes explorer.

L’Afrique, malgré ses défis structurels, me semble détenir certaines des clés pour une renaissance mondiale.

Jeffrey Sachs (69 ans, économiste keynesien, diplômé de Harvard et enseignant à Columbia) proposait alors une approche fondée sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), lesquels objectifs sont malheureusement remis en cause de manière plus frontale par l’administration Trump II.

Ces objectifs trouvent un écho particulier en Afrique, dont les ressources, si et seulement judicieusement utilisées, peuvent aider à améliorer les conditions de vie en Afrique comme ailleurs dans le monde. Aujourd’hui plus que jamais l’atteinte de ces objectifs, bien proches de nos valeurs maçonniques, sont d’avantage compromis et ne seront pas atteints pour la plupart atteints à l’échéance de 2030, dans 5 ans.

Paul Collier, quant à lui, met en lumière la fragilité des institutions africaines, mais aussi la capacité de transformation qui existe en elles. Dans la maçonnerie, nous savons que chaque temple est l’ouvrage d’hommes et de femmes déterminés. Il en va de même pour les institutions africaines. Leur potentiel latent peut être révélé par une gouvernance forte, par un investissement humain et technologique dans l’éducation et les infrastructures.

L’Afrique doit également diversifier ses économies pour en finir avec la dépendance aux matières premières. La transition vers une économie verte, où les ressources naturelles sont gérées de manière durable, est indispensable. A ce titre, l’Afrique possède d’immenses réserves en énergie renouvelable, en particulier à travers l’hydroélectricité, le solaire et l’éolien.

Pourra-t-elle utiliser ces atouts existants pour son rayonnement technologique, source de progrès ?

Ou encore d’autres comme par exemple le « vibranium » dans le film fiction Black Panther ? Pour être un brin plus provocateur.

Troisième Partie : Que pouvons-nous faire ? Que peut la Franc-Maçonnerie ?

La Maçonnerie, en tant qu’ordre initiatique et philosophique, a un rôle particulier à jouer dans cette transformation à venir. Le symbole du temple, où chaque Frère et chaque Sœur participe à l’édification de l’ensemble, nous rappelle que l’Afrique, tout comme le monde, doit être ré-imaginée, construite et reconstruite pierre après pierre.

Nous devons être les bâtisseurs de ce monde nouveau, incarnant l’idéal d’universalité, de solidarité et de fraternité.

Tout comme le film 2012 montrant la reconstruction d’un monde nouveau sur des terres africaines après une série de catastrophes naturelles, on peut imaginer que l’Afrique n’est pas seulement un réservoir de ressources naturelles, mais une source vivante d’innovation, de savoir-faire et de créativité.

Les valeurs de la Maçonnerie, celles de la vérité, de l’unité et de la liberté, doivent être appliquées pour soutenir les initiatives de paix et de prospérité en Afrique.

La place de Genève, lieu symbolique du multilatéralisme, doit être une boussole. S’il y a un rôle utile que la Franc-Maçonnerie pourrait jouer ce serait d’aider à orienter les politiques locales & internationales vers un soutien effectif à la stabilité et au développement du continent africain.

Qu’est-ce que cela impliquerait plus concrètement ? Il s’agirait de :

  • Réunir ce qui est épars pour penser et agir pour l’amélioration matérielle et intellectuelle, et le perfectionnement moral de cette partie de l’humanité, comme nous nous engageons à toutes les tenues à le faire partout ailleurs.
  • Incarner, vivre et mettre en pratique la signification symbolique de notre temple dont les dimensions s’étendent de l’orient à l’occident, et du midi au septentrion, sur toute l’étendue de la terre.
  • Affirmer et sauvegarder l’universalisme de notre ordre dont les valeurs, les symboles et les outils peuvent inspirer, guider et servir jusqu’au bout du monde.
  • Rassurer ceux qui, pour diverses raisons ont peur d’un continent Africain en paix, qu’en réalité nous bénéficierons tous d’une Afrique stable, juste et prospère. Toute l’humanité en bénéficierait.
  • Maintenir nos efforts à partir de la place unique de Genève comme centre du multilatéralisme et du dialogue entre les nations.

Et sur le rôle de la place de Genève sur lequel j’insiste vraiment, je termine avec ce magnifique poème de Lamartine :

« Que Genève à nos pieds ouvre son libre port,
La liberté du faible est la gloire du fort.
Que sous les mille esquifs dont les eaux sont ridées,
Palmyre européenne au confluent d’idées,
Elle voie en ses murs l’Ibère,
l’Africain et le Germain et tous les peuples du monde
Échanger la pensée en se donnant la main ! »

[Vous aurez compris que c’est moi qui ai rajouté le mot Africain dans ce vers]

Conclusion

Le Continent africain, à travers ses défis, ses ressources inestimables et sa jeunesse dynamique, peut être une solution pour le nouveau modèle de développement durable et d’innovation du XXIe siècle, que le monde semble appeler de tous ses vœux en ces temps de crise.

Nous Maçon.ne.s pouvons soutenir cette transformation, faire rayonner au dehors du temple la lumière que nous avons reçue et de contribuer efficacement à cette renaissance.

Que la lumière qui éclaire le temple continue d’éclairer notre chemin. Qu’avec notre fraternité vraie, nous contribuons tous à l’édification de ce monde nouveau.

J’ai dit.

Un Frère de Mozart et Voltaire


Bibliographie

Molefi Kete Asante

  • Ouvrage : « The History of Africa: The Quest for Eternal Harmony »
  • Article : « Afrocentricity and Multiculturalism: Foundations for an African Renaissance » (1993)

Achille Mbembe

  • Ouvrage : « Critique of Black Reason » (2017)
  • Article : « Necropolitics » (2003)

Felwine Sarr

  • Ouvrage : « Afrotopia » (2016)
  • Article : « L’avenir du Sahel et la renaissance africaine » (2018)

Jeffrey Sachs

  • Ouvrage : « The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time » (2005)
  • Article : « Ending Africa’s Poverty Trap » (2004)

Paul Collier

  • Ouvrage : « The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It » (2007)
  • Article : « Economic Causes of Civil Conflict and Their Implications for Policy » (2000)

Acha Leke

  • Article: « The Power of Parity: Advancing Women’s Equality in Africa » (2019)
  • Rapport : « Africa’s Business Revolution: How to Succeed in the World’s Next Big Growth Market » (2018)

Celestin Monga

  • Ouvrage: « The Anthropological Turn in Development Economics: From Identification to Production » (2018)
  • Article : « Smart development policy: Key issues and recommendations for smart policymaking in Africa » (2019)

Cheikh Anta Diop

  • Ouvrage: « The African Origin of Civilization: Myth or Reality » (1974)
  • Article : « The Cultural Unity of Black Africa » (1960)

Dambisa Moyo

  • Ouvrage: « Dead Aid: Why Aid Is Not Working and How There Is a Better Way for Africa » (2009)
  • Article : « Why China’s growing footprint in Africa worries the US » (2021)

Fatou Diome

  • Roman : « Le Ventre de l’Atlantique » (2003)
  • Article : « Migrations africaines : le racisme est le carburant, pas le moteur » (2019)